Histoire du rhin

 

La correction du Rhin avant 1840

Au début du XIXe siècle, le Rhin était constitué de nombreux méandres et de multiples bras et faux bras. Il voyait une forte dynamique avec la création ou la destruction d’îles et alimentait de nombreux marais insalubres. Des restructurations avaient lieu à chaque crue importante. Cela n’était pas sans risque pour les villages riverains qui étaient fréquemment soumis aux inondations (Encyclopédie B&S Editions). De plus, aucune politique concernant les risques n’était mise en place pour les habitants et les agriculteurs. En effet, la monarchie du XVIIIe siècle n’avait pas une emprise totale sur le Rhin, lui empêchant des travaux globaux et voyait l’utilisation du Rhin comme « frontière naturelle » conformément aux concepts géopolitiques de l’époque comme une bonne solution. Ainsi, jusqu’au début du XIXe siècle, les riverains ont mis en place des aménagements très localisés (jamais au-delà du territoire du village). Bien que ces défenses puissent être bien conçues et bien exécutées, leur efficacité restait quasiment nulle du fait des problèmes causés par les aménagements des autres villages (TRICART & BRAVARD, 1991). La construction de mesures de protection pour un village (digues, fascines,…) entrainait une aggravation de la situation en temps de crues pour les riverains en aval ou sur la rive opposée. Cela a conduit à ce qui était nommé « la guerre des fascines » à l’époque. Les conséquences des fortes crues pouvaient être diverses et allaient des maladies à la disparition de villages entiers en passant par les épidémies ou les famines (Encyclopédie B&S Editions). Ainsi, l’insécurité persistait malgré les moyens déployés par les populations. Ces aménagements ont, toutefois, permis d’acquérir de l’expérience au niveau des techniques (en particulier pour la mise en place de fascines) qui furent utilisées pour d’autres cours d’eau (comme de gros torrents dans les Pyrénées Orientales) et pour l’aménagement de von Tulla (TRICART & BRAVARD, 1991).

Les projets d’aménagement globaux ont vu le jour peu avant la révolution française. Notamment avec le général d’Arçon, qui propose en 1784 la réunification de tous les différents bras en un unique et de donner à celui-ci d’amples sinuosités afin qu’il voit une pente assez faible. Cependant, un tel projet demandait l’accord de tous les riverains dans un contexte de morcellement politique. C’est pourquoi rien ne fut mis en place avant la Révolution. Le colonel Johann Gottfried von Tulla proposa un second projet général en 1809 qui différait de celui du général d’Arçon : Il préconisait aussi de rassembler les bras en un lit unique, mais celui-ci devrait avoir un tracé en ligne droite afin de provoquer une incision avec une protection de berge. L’incision avait pour objectif de lutter contre les inondations et le paludisme (TRICART & BRAVARD, 1991).

Les premières discussions pour l’aménagement du Rhin commencent en 1804. Elles concernent les Etats riverains dans le cadre de la « Convention de l’octroi du Rhin » qui vise, entre autres, à lutter contre les inondations sur les deux rives. En 1808, Napoléon I créa le « Magistrat du Rhin » qui avait pour objectif la concertation, avec les dirigeants de la rive droite, des travaux sur les deux rives. Une convention est même signée en 1813 par la France et les Etats de Bade, Hesse, Nassau et Berg pour que les travaux entrepris sur le fleuve soient soumis à une Commission spéciale. La chute de l’empire stoppa cette initiative intéressante (Encyclopédie B&S Editions).

Les pourparlers reprennent en 1817 avec la « Commission de reconnaissance de la frontière », créée par le traité de Paris (1815) puis avec une « Commission mixte » entre la France et le Grand-Duché de Bade. Le projet de Tulla ne fait pas l’unanimité  car les ingénieurs français préfèrent un tracé plus sinueux (Encyclopédie B&S Editions). La France abandonna le projet du général d’Arçon en 1840 et mit en place la réalisation de la dernière version du projet de von Tulla de 1827 (qui donnait plus d’importance à la lutte contre les fièvres et les inondations) (TRICART & BRAVARD, 1991).

 

Les travaux de Tulla

Les travaux de correction à l’aval de Strasbourg avaient déjà débutés en 1817. Les travaux du secteur entre Strasbourg et Bâle sont principalement réalisés pendant la période entre 1842 et 1876. Les aménagements consistent à contenir les eaux du Rhin dans un « lit mineur » avec des rives fixes distantes de 200 à 250 m. Pour cela, les méandres ont été court-circuités, les bras fermés et les îles reconnectées entre elles. Ensuite, des « digues de hautes eaux » ont été implantées, parfois à plusieurs centaines de mètres du lit mineur.  Lors des crues importantes, les nouvelles berges étaient submergées et l’eau allait dans le lit majeur délimité par ces digues (Encyclopédie B&S Editions). L’espace délimité par les digues extérieures était voué à la forêt et la prairie, ce qui permettait de préserver les biocénoses particulières de ces milieux, même si ce résultat n’était pas un objectif à l’époque.

Le plan de von Tulla, visant à faire que le Rhin creuse son propre lit, se mit en place et le creusement alla au-delà des espérances. Bien que ces travaux aient permis une meilleure protection contre les crues, ils ont aussi conduit à différents problèmes. De Bâle à Lauterbourg, le fleuve a été raccourci de 32 km (soit de 14%) conduisant à une augmentation de la pente. Mais le lit du Rhin présente des alluvions proglaciaires de la déglaciation würmienne.  Le fond est donc mobile et apte à répondre aux modifications dynamiques.  Il incisa en moyenne de 6 cm par an. Cela conduit premièrement à l’exhumation de la barre rocheuse d’Istein. A cet endroit, le lit était étroit et en pente très forte, la navigation devint rapidement impossible. Deuxièmement, l’incision entraina une importante mobilisation d’alluvions provenant du fond du lit. La topographie du lit changea et devint plus irrégulière, avec des alternances de seuils et mouilles avec de forts dénivelés et modifiables à chaque crue importante. La navigation devint très difficile : le port de Strasbourg, par exemple, a été totalement déserté durant la période de 1864 à 1868 (Encyclopédie B&S Editions).

Vers 1900, en aval de Lauterbourg, la navigation devint impossible en moyenne 76 jours par an. Entre Strasbourg et Lauterbourg, 216 jours par an en moyenne n’étaient pas navigables. En amont, la barre d’Istein empêchait l’accès à Bâle (incision de 7m en 75 ans) (TRICART & BRAVARD, 1991).

 

La régularisation du Rhin

Les problèmes causés par les travaux de Tulla demandent une nouvelle réflexion sur l’aménagement du Rhin. Deux solutions sont alors évoquées : Créer un canal latéral ou aménager directement le fleuve lui-même. Avant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne décide d’améliorer le lit mineur en aval de Strasbourg (1906) et les travaux commencèrent dès l’année suivante. Ils ont conduit à la mise en place d’un chenal de navigation de Strasbourg à Sondernheim. Il s’agissait de lui donner un tracé à amples sinuosités  d’après les idées de l’hydraulicien français Fargue. Rapidement, une profondeur de 1,7m fut obtenue et il était projeté de poursuivre ces aménagements en amont (TRICART & BRAVARD, 1991). Les aménagements  s’achèvent en 1924, et rapidement le trafic rhénan jusqu’à Strasbourg reprit. Ainsi, le trafic dans le port de Strasbourg passe de 700 000t en 1905 à 2 millions de tonnes en 1913 et 5,7 millions de tonnes en 1930 (Encyclopédie B&S Editions).

 

Le Grand Canal d’Alsace et la poursuite de la régularisation

Le projet du GCA

Le projet de Grand Canal latéral d’Alsace (GCA) fut présenté en 1902 par un Mulhousien, Koechlin, qui propose une série de biefs étagés depuis Kembs jusqu’à Strasbourg. En aval de chaque bief, des écluses à grand gabarit sont couplées à une centrale. Le GCA devait avoir une longueur de 112 km pour un dénivelé total de 107m et permettre l’implantation de centrales hydroélectriques de Kembs, Ottmarshiem, Fessenheim, Vogelgrün, Marckholsheim, Sundhouse, Gerstheim et Strasbourg.

En 1918, l’Alsace redevint française suite à la victoire sur l’Allemagne, les aménagements rhénans ont alors vu un nouveau tournant. Les travaux de régularisation en aval de Strasbourg amenant les résultats désirés, la Suisse est encouragée à poursuivre dans cette voie pour retrouver la liaison avec Bâle. En 1919, le projet de Koechlin laisse place à un second projet plus vaste concernant tout le secteur de Bâle à Strasbourg.

En 1922, la construction du bief de Kembs fut autorisée par la « Commission centrale pour la navigation du Rhin » et les travaux dureront de 1928 à 1932. En 1925, les autres travaux du GCA (projet français) ainsi qu’un projet de régularisation entre Istein et Strasbourg-Kehl (projet allemand) sont autorisés par la Commission. Le projet allemand visait à une amélioration de la navigabilité à court terme alors que le projet français portait sur de longues périodes. La construction du GCA est ensuite ralentie par la seconde guerre mondiale, avant d’être complétement stoppée pendant l’occupation nazie. A la libération, la France, très affaiblie, ne peut reprendre l’aménagement du Rhin. De plus, la volonté du général de Gaulle d’en faire une puissance nucléaire réduit l’intérêt des centrales hydroélectriques au bénéfice de la production électrique nucléaire (TRICART & BRAVARD, 1991).

Dans cette période, les travaux portèrent leurs fruits sur la navigation et les résultats du trafic bâlois furent impressionnants. De 400 000t en 1930, le trafic du port du Rhin passa à 2 millions de tonnes en 1937 et à plus de 9 millions de tonnes en 1974 (Encyclopédie B&S Editions).

 

Les conséquences du GCA

La solution du GCA pause un nouveau problème : l’abaissement inquiétant de la nappe. Cela a eu pour conséquence un assèchement des sols déjà pauvres conduisant à une baisse de l’exploitation agricole. Les paysans se reconvertissent alors en ouvriers industriels, notamment à Muhlouse. Ainsi, en 1956, le projet du GCA est complètement abandonné  et un nouveau projet d’aménagement est mis en place dit « en feston ». Les ensembles « usine-écluses » sont désormais aménagés sur une dérivation du fleuve. Un barrage est mis en place en amont afin de dévier l’eau du Rhin dans un canal d’amenée. La centrale et l’écluse sont alors construits sur cette dérivation puis l’eau retourne dans le Rhin naturel avec un débit réservé d’au moins 15m3/s pour la préservation écologique et permettre le maintien d’un niveau stable de la nappe. Quatre aménagements de ce type ont ainsi été mis en service à Marckolsheim (1961), Rhinau (1963), Gerstheim (1967) et Strasbourg (1970).

L’Allemagne fédérale, devenue alliée, constata aussi des modifications nuisible sur la qualité des sols. Une négociation conduisit à la convention franco-allemande de 1969 qui avait pour clauses :

·         L’aménagement des deux centrales à Gambsheim en territoire français et à Iffezheim en territoire allemand.

·         Le prêt de la Suisse de 33 millions de francs suisses à la France.

·         Les centrales doivent être construites sur le lit du Rhin et non sur le GCA de manière à ne pas perturber le niveau de la nappe phréatique (mises en service vers 1975).

·         Des prélèvements pour l’irrigation.

Une nouvelle convention est signée en 1975 portant sur l’aménagement de l’aval avec une vision plus globale. La Suisse, dans ce contexte, accorde un prêt à l’Allemagne pour la réhabilitation du lit de Lauterbourg à Saint Goar.

L’aménagement à l’aval de Strasbourg

En aval de la canalisation, le problème persistant reste l’érosion. En effet, les aménagements mis en place conduisent à des phénomènes d’érosion en aval de chaque chute. Cela peut avoir deux conséquences importantes : l’abaissement du plan d’eau au niveau des ports de Strasbourg et de Kehl et un abaissement du toit de la nappe. C’est pourquoi la France et la R.F.A ont décidé de poursuivre les travaux de canalisation en aval de Strasbourg et d’ajouter de nouvelles chutes à Gambsheim et Iffezheim. Cette fois, il n’y a pas de dérivation. Le barrage, son évacuateur de crue, l’usine hydroélectrique et les écluses sont implantés sur le même lit du Rhin. Il était prévu de continuer ce type d’aménagement plus en aval mais le problème d’érosion était toujours déplacé. En 1977, cette idée est abandonnée au profit d’une série de travaux plus modestes pour améliorer l’agriculture, la navigation et la protection des crues. On peut citer les constructions de différents polders et bassin de rétention pour l’écrêtement des crues, l’augmentation de certaines hauteurs de digues pour la protection, les apports en débit solide en aval d’Iffezheim (avec un apport de 200 000m3/an de cailloux calibrés) ou encore la construction des barrages dits « agricoles » pour le maintien du niveau de la nappe (TRICART & BRAVARD, 1991).

De nos jours, le Rhin supérieur est donc canalisé sur 165km de Bâle à Iffezheim  permettant une navigation régulière et en toute sécurité. La protection contre les crues est efficace bien que les objectifs fixés sur les volumes de rétention lors de crues exceptionnelles ne soient pas encore tous réalisés.

 

 

 

Bibliographie

NR. (NR). Le Rhin. www.encyclopédie.bseditions.fr. Encyclopédie B&S Editions.

TRICART, J., & BRAVARD, J.-P. (1991). L'aménagement des trois plus grands fleuves européens : Rhin, Rhône et Danube. Problèmes et méfaits. Annales de Géographie. t. 100, n°561-562. Numéro du Centenaire. pp. 668-713.

 

 

Sur l'histoire des aménagements du Rhin, nous vous recommandons de consulter les sites et documents suivants:

Un article et vidéo sur wikhydro sur la canalisation du Rhin

Avec une vidéo de 2010 mise en place par le Commissariat Général au Développement Durable du ministère du développement durable et organisée par le Service de Navigation de Strasbourg (Intervenant: Frédéric Doisy - Chef Arrondissement Fonctionnel, Service Navigation de Strasbourg).